L’art du ressemelage

J’ai commencé à grimper il y a 17 années en Italie…pays de saints, poètes et cordonniers, dans lequel l’écrasante majorité des grimpeurs fait ressemeler ses chaussons plusieurs fois.

C’est donc avec surprise que j’ai constaté qu’en France, un bon nombre de pratiquants préfère user ses chaussons neufs jusqu’à les percer, pour ensuite les mettre à la poubelle. Cet article a pour but de les convaincre que l’intérêt du ressemelage va au-delà des économies réalisées…

Que faut-il s’attendre d’un chausson bien ressemelé ?

Un chausson bien ressemelé est déjà « fait » à votre pied, donc plus confortable qu’une paire neuve du même modèle, dans la même taille. Il est aussi plus souple et sensitif, à la fois par dégradation des raidisseurs placés entre tige et semelle, et par effet de la moindre compression du pied.

Quand la paire ressemelée était en origine destinée à la performance, le résultat est souvent un compromis idéal pour les situations demandant un peu plus de confort et sensations, tout en gardant les atout d’un chausson qui ne bouge pas sur votre pied (comme le ferait une paire prise plus grande en magasin) : grandes voies courtes et intenses, longueurs « abus » de plus de 40 mètres en falaise, températures élevées, longues marches d’approche, adhérences précaires en dalle, essais « flash » et « à vue ».

Pour ma part, par exemple, j’opte souvent pour une paire ressemelée à céuse, falaise qui combine plusieurs des conditions énumérées ci-dessus, et pour la grimpe estivale en général.

Quand la paire d’origine était déjà « confort », vous obtiendrez le chausson d’entrainement parfait : confortable, et assez « mou » : vos pieds auront moins mal et se muscleront au passage !

L’enrobage est atteint: trop tard!

L’enrobage est atteint: trop tard!Quand faut-il envoyer ses chaussons ?

Plus tôt que ce que vous pensez ! Pour le meilleur résultat, il faut qu’il reste encore un tout petit peu de gomme de la semelle, autrement vous commencez à user l’enrobage… Dans ce cas vous risquez fort la pose d’un empiècement supplémentaire en pointe, ce qui modifie forcement le ressenti du chausson (souvent en pire, mais pas toujours : dans les meilleurs cas on obtient un chausson un peu plus raide et précis, sans grosse perte de sensations)

De quoi dépend le résultat ?

A la fois, de vous, du chausson et du ressemeleur.

Il reste encore un tout petit peu de semelle: c’est le moment de ressemeler!

De votre côté, il faut que le chausson ne soit pas envoyé trop tard : un chausson dont les enrobages sont encore en bonne forme donnera les meilleurs résultats. Il faut aussi qu’il n’ait pas subi trop d’abus pendant sa première vie. Si les débutants sont connus pour maltraiter leurs paires, les plus performants, et particulièrement les bloqueurs, ne sont pas très gentils non plus, car ils imposent des contraintes plus violentes à leurs chaussons, à commencer par le choix de pointures « extrêmes ». Ceux qui doivent s’attendre les meilleurs résultats sont les grimpeurs de falaise et grande voies ayant un style de grimpe « souple », peu agressif, et prenant leurs chaussons une ou deux demies tailles plus grandes que la « pointure ultime ».

Les chaussons ne sont pas tous également ressemelables. Les points cruciaux sont la tenue des coutures à l’interieur du chausson et des colles des enrobages : si ces derniers commencent à se décoller de la tige (comme il arrive plus souvent avec certaines marques, ou si vous transpirez beaucoup dans vos chaussons) le ressemeleur n’aura pas une base stable sur la quelle travailler, et le résultat ne pourra pas être très précis ! Les doublures ne sont pas en soi un obstacle au ressemelage mais peuvent poser un problème de confort si elles se désolidarisent du reste de la tige. Enfin, les différentes formes de chausson sont plus ou moins faciles pour le ressemeleur : un modèle plat et rond sera facile, alors qu’un autre griffé et pointu demandera plus de travail et de précision à l’artisan.

Les différents ressemeleurs ne travaillent pas tous de la même façon et ne donnent pas tous les mêmes résultats sur tous les modèles. Il faut en tester quelques-uns… On peut distinguer trois catégories :

-Quelconques. La qualité du travail est inconstante ou approximative…vous pouvez ressentir des « bosses » sous la semelle (l’ancienne n’a pas été complétement éliminée), le chausson change radicalement de forme quand une pointe est refaite, etc…Malheureusement, ce cas est assez courant en France, ou en tout cas plus qu’en Italie (ce qui explique peut-être mon observation de départ)

-Corrects. Ils bossent bien sur certains modèles, mais pas sur d’autres. Deux cas courants : le fabricant-ressemeleur qui ressemelle ses propres produits mieux que ceux issus de la concurrence, et des artisans qui bossent bien sur des modèles non griffés et populaires, moins bien en cas de  nouveauté, marque exotique ou forme extrême.

-Artistes. La paire ressemelée est aussi performante que juste avant l’envoi, voire mieux. Respect de la griffe et de la finesse des pointes. Des petites réparations sont possibles en complément du ressemelage. En cas de doute, on est bien conseillés. Souvent, ils sont aussi bons grimpeurs…

Les Gommes

On peut choisir plusieurs marques et mélanges de gomme différents, dans plusieurs épaisseurs…Quelques conseils pour ne pas se perdre :

-gommes souples. Stealth Onyx, Vibram XS grip/grip2. Moins de durée et de précision en grattonnage, plus d’adhérence sur des appuis précaires et d’efficacité en gros devers et bloc indoor. C’est un choix justifié seulement pour des paires dont la souplesse est la caractéristique principale et des grimpeurs « poids plume » ou ayant des exigences particulaires…

-gommes mi-rigides. Stealth C4, Vibram XS edge. Bon compromis grattonage/adherence/durée. La C4 s’use moins vite et est plus performante dans l’absolu (meilleure adhérence, meilleure précision). Le point de force de la vibram est une perte d’adhérence un peu plus progressive et prévisible : on sent la zipette arriver, plus qu’avec la stealth, qui a tendance a glisser de façon soudaine.

-epaisseurs : en 5 mm on a plus de rigidité et durée, mais on perd un peu de précision et sensibilité…tant que la nouvelle semelle ne s’est pas encore usée. En 4 mm on a une semelle plus souple, sensitive et rapidement au meilleur de sa performance.

Quelques bonnes adresses

Je mentionne ici deux ressemeleurs français avec lesquels j’ai eu des bonnes expériences, ainsi que mon personnel « saint patron du ressemelage ».

Clinique du Chausson. www.clinique-du-chausson.fr/

Un vrai artiste, le titre n’est pas volé. Le travail est simplement stupéfiant, tant dans la substance que dans l’esthétique de la finition (il faut vraiment un bon œil pour distinguer la jonction entre ancienne et nouvelle semelle…). Les petites réparations sont aussi réussies. Depuis peu il est ressemeleur agrée LaSportiva, et peut ressemeler vos speedster/futura/genius. Comme tout artiste qui se respecte, il peut vous faire des caprices : notamment refuser des paires en trop mauvais état (alors que d’autres les auraient ressemelées en acceptant un compromis sur le résultat), imposer la réfection d’enrobages en apparence intacts (mais qui commencent à se décoller ou sont trop usés)… Faites confiance…

Cordonnerie d’en Haut. 04 56 17 98 97

C’était, jusqu’il y a quelques mois, le seul artisan officiellement designé par LaSportiva France pour le ressemelage des modèles de la gamme « noEdge » (speedster, futura, genius) et c’est dans ce cadre que je l’ai testé. Le travail sur ces modèles est excellent et, pour ces modèles, rentre bien dans la catégorie « artiste ».Je n’ai pas essayé avec d’autres chaussons.

Corrado Zanforlin. www.dacorrado.com

Dit aussi « Saint Corrado de Varallo Pombia »…Si vous programmez un roc trip au nord-ouest de l’Italie, par exemple entre les spots de fissure de la Valle dell’Orco et de Cadarese, emmenez quelques paires à ressemeler avec vous, et le long de la route priez que son atelier soit ouvert…