2022: l’année des petits d’Adam Ondra, Shauna Coxsey & Ned Freehally, Nina Caprez, Emily Harrington…et aussi, plus modestement, celle de notre fille!

Je profite de cet heureux événement pour lancer une série d’articles dont le but est d’apporter un témoignage un peu plus construit par rapport à ce qui peut passer par les réseaux sociaux des stars de l’escalade. En effet je trouve que ces médias, du fait de leur format court ne donnent qu’une partie de l’information, et qu’au final ces contenus ne sont pas si informatifs que cela: la finalité première de ces médiatisations est vous faire rêver et vendre des produits!

Précaution oratoire: je parle bien de « témoignage » et pas de « conseil », hein! À bon entendeur…

chapitre 1: la grossesse et l’escalade (du point de vue de papa).

Avec quelques mois de recul, je m’attaque donc à la grossesse de la maman-grimpeuse et à comment cela a impacté notre grimpe.

Décembre 2021: Wadi Rum

Avec Roxane on est en Jordanie. Au fil du séjour, je commence à remarquer une série d’indices: Rox est anormalement fatiguée, frileuse, semble mal digérer la nourriture locale, elle est globalement pas trop dans son assiette, on sent que des toutes petites choses pourraient provoquer un effondrement psycho-physique alors qu’elle est enthousiaste d’être là, on grimpe dans notre niveau, et que je ne lui connais pas une personnalité « fragile ». Au final elle ne grimpera presque rien en tête alors qu’on avait préparé cela pendant des mois et que sur le papier, c’était bien son intention.

« Tu ne serais pas enceinte, à tout hasard? »
« Bah, je ne pense pas…c’est les boulettes d’agneau, je ne digère pas bien la graisse animale »
« Mouais…fais quand même le test en rentrant! »

Effectivement, si de boulette il s’agissait, ce n’était pas une boulette d’Agneau!

La boulette

Janvier 2022: Saint Loup.

Alessandro « Jolly » Lambersti sur Bain de Sang (9a). Pas besoin de viser aussi dur. à Saint Loup, pour tirer des toutes petites prises et pousser sur des pieds aléatoires…

Saint Loup, c’est une falaise calcaire près de Lausanne, fameuse pour Bain de Sang, un 9a historique « en dalle » (ou plutôt en mur vertical). Il s’agit d’une falaise au style très typé: petites prises, pieds fuyants, rocher sans trop de grain, équipement un poil aéré qui propose des nombreux pas obligatoires, cotations parfois assez « old school », patine, peu de traces de magnésie…

Évidemment, il m’incombe de tout grimper en tête: on veut éviter tout choc au ventre de maman et au fœtus. Soudain je commence aussi à me dire que je ne sais pas trop ce qui se passera ors d’une chute: on a quand même une différence de poids considérable, je soulève Rox assez violemment quand je vole… voilà donc que celui au mental fragile, cette fois ci, c’est moi. Dès la deuxième ou troisième voie je décide d’en parler.

« En fait je n’ai pas du tout envie que tu m’assures une chute, j’ai peur qu’il se passe quelque chose avec bébé. Et ici, ce n’est pas l’endroit le plus fun du monde pour grimper en mode « solo ». Ça te dérange si on reste dans du très facile? »

De retour à la maison, on commence à réfléchir aux différentes parades possibles pour ce problème. On finira par toutes les adopter, à un moment ou à un autre, selon ce qui se prête le mieux à une situation donnée:

relais sur arbre au pied de la falaise.
  • Rester dans du très facile: c’est la solution la plus confortable pour moi, car pour différentes raisons je connais assez bien les situations de « chute interdite » dans un niveau largement en dessous de mon max. Mais c’est aussi la plus frustrante pour la future maman, qui veut profiter de sa forme physique lors des premiers mois, et qui aime bien se challenger: au final, en dehors de l’échauffement on n’appliquera cette stratégie que vers la fin, à partir du 5ème mois je dirais.
  • La perche. Tout clipper à la perche et travailler les voies à mort en moulinette, c’est un peu un déshonneur mais ça reste pratique. Et là, on tenait une bonne excuse. Le plus délicat, ce fut de choisir les bonnes voies, nos niveaux en falaise ayant une ou deux lettres d’écart. Mais en allant chercher les styles les plus adaptées à Rox et les moins dans mes cordes, on a quand même eu l’occasion de passer des très bons moments!
  • Le OHM. Il s’agit d’un dispositif censé éviter le déplacement intempestif d’un assureur léger, lors de la chute d’un grimpeur lourd. Sur le papier c’est parfait, mais l’outil nécessite quand même d’un très bon coup de main et de la bonne corde pour fonctionner de façon fluide et ne jamais bloquer au mauvais moment. On s’en est servis en falaise avant de passer à la solution suivante.
  • L’assurage en direct sur relais. Il s’agit de placer le système d’assurage directement sur un relais confectionné au pied de la longueur. C’est une solution qu’on employait déjà en grande voie, toujours pour pallier à notre différence de poids: mais on a mis un moment à transférer cette habitude à la falaise, notamment en raison du fait que construire un relais à un endroit convenable n’est pas toujours possible.

Mars 2022: Le Suet

Rox travaille « Emoi emoi et moi », 7c ultraclssique de la falaise. On remarquera le baudrier intégral

La grossesse de Rox est officielle dans le petit milieu des grimpeurs haut-savoyards et le bidou commence à pointer son nez. Le baudrier classique commence à ne plus me sembler adapté, il faut trouver une solution permettant d’éviter le retournement et de soutenir le dos. Il nous faudrait un baudrier « de femme enceinte », si ça existe!

Pour commencer, on cherche quelque chose de « fait exprès » sur le marché: verdict, il en existait un chez mad rock mais il est constamment « sold out », comme si la marque avait arrêté de le produire. Niche de marché trop exiguë? Frilosité face à la menace d’actions en justice, en cas de fausse couche? Il y a donc le choix entre rajouter un torse en sangle à l’harnais habituel, comme on a vu dans une vidéo, ou acheter un baudrier « intégral ». Pour notre part, après des recherches approfondies on a fini par commander un harnais de travail « antichute », le CAMP Quantum: le seul, à notre connaissance, couplant un poids inférieur au kg avec un rembourrage généreux des cuisses (ce qui nous semble fondamental pour le confort en suspension). Le premier test effectué à la maison a été plutôt probant, c’est globalement tout aussi confort que nos cuissards classiques voir plus!

Précision pour les plus malins que nous: évidemment, l’utilisation d’un baudrier qui n’est pas normé « escalade » aurait pu nous valoir des ennuis avec les assurances en cas d’accident! Mais on a considéré que

  • la confection d’un torse « maison » aurait été aussi litigieuse, tout comme le choix de continuer à grimper pendant la grossesse (le médecin de Roxane nous conseillant à la base de limiter l’activité sportive à des promenades et du yoga prénatal).
  • La norme qui concerne le baudrier choisi prévoit des résistances du matériel comparables ou supérieures à celles de la norme escalade.
  • Il était de toute façon hors de question d’avoir un accident!

Avec ce nouveau baudrier, rien ne change pour l’escalade en moulinette en falaise. Il y a tout de même quelques changements pour l’assurage et les rappels en grande voie, car les points d’encordement sont à niveau du torse. Il est donc plus difficile d’assurer le grimpeur qui évolue en tête, raison pour laquelle on s’est davantage tournés vers la solution consistante à faire relais au pied de la voie (assurage sur arbre ou lunule). Pour les rappels, il faut décaler le machard en position utile; on a choisi de le positionner sur la cuisse droite, et de ne pas rallonger le descendeur (qui reste bien loin au dessus de l’autobloquant, de toute façon…). Dernière particularité, il n’y a pas de vrais porte-matériel, il faut donc s’adapter avec des sangles au torse.

Avril 2022, Annot

La traversée de « Les amants de St. Jean », petite perle peu connue juste en face des grès d’Annot. Facile, mais aérien!

C’est donc ça la traversée facile?

Semaine après semaine, le niveau max de Roxane descend peu à peu. C’est surtout le gainage qui commence à manquer car, c’est normal, toute la sangle abdominale se détend pour laisser de la place au bébé. Du coup on se tourne de plus en plus vers l’escalade dalleuse en grandes voies équipées, ce qui nous semble la meilleure façon de maximiser le ratio plaisir/difficulté, et rend plus naturelle la configuration « en leader fixe ». Seul problème, les longueurs en traversée, qui constituent la principale menace d’une réelle chute et d’un choc au bidou. On est parfois un peu joueurs sur ce point, comme ici dans une grande voie tout près d’Annot, tout en nous assurant au préalable que ces sections soient relativement faciles et prisues.

Juillet 2022: Sanetsch

« J’ai du mal à voir les prises de pieds »

La fin de grossesse approche, l’arrêt inévitable de l’escalade aussi, mais Roxane aurait envie d’un dernier weekend de « vraie » grimpe. Il faut remplir plusieurs critères:

  • au frais car la future maman souffre la chaleur
  • Des marches d’approche courtes
  • Des grandes voies rectilignes et pas trop longues à la frontière entre 5 et 6
  • Une escalade pas trop raide et physique, sans non plus verser dans le stéreotype de la dalle à friction hyper couchée, où le scénario « zipette et chute sur le ventre » est une réelle possibilité.
Grimpeur(?) local

On tente notre chance au Sanetsch, et il s’agit peut être de la plus belle « réussite » de ces quelques mois de grimpe aménagée! Le site coche toutes les cases et y ajoute une qualité exceptionnelle sur tous les fronts: rocher, ouvertures, paysage, même les marmottes qui se laissent prendre en photo quelques pas de la voiture.

Bébé est maintenant bien présent, semble réagir au bruit de notre quincaillerie et s’amuse à cacher les prises de pied à maman…

10 Juillet 2022. le Brévent

R1 de Crakoukass

En guise de dernière journée de grimpe, Roxane me concède enfin ce dont je rêve depuis ce moment d’angoisse à Saint-Loup: une grande voie « pour débutants », comme elle dit! Elle finira pour avouer qu’il n’aurait pas fallu ni plus long, ni plus dur, et que parfois on sait se faire plaisir même dans du facile.

Un mois et dix jours plus tard, tout un autre chapitre s’ouvrira…

à suivre…