Vous le savez sans doute, un livre 100% dédié à la préparation mentale pour l’escalade vient de sortir il y a quelques semaines. Étant un lecteur avide de tout ce qui touche à notre sport, j’ai sauté sur l’occasion, et j’en profite pour vous donner mon ressenti rapide sur cet ouvrage.
D’où je parle
Avant de commencer, il me semble plus important que d’habitude de vous préciser mon point de vue : en effet, la préparation mentale me semble à la fois un argument plus personnel que d’autres, et d’autre part il s’agit en quelque sorte d’une « science molle » quand on la compare à la préparation physique, ou aux enjeux sécuritaires de notre discipline. D’où l’impossibilité, à mon avis, de s’exprimer à son sujet d’une façon totalement détachée et objective.
Donc, en extrême synthèse :
- Je grimpe depuis plus de 20 années, et étant de nature relativement introvertie, cette discipline m’a fasciné entre autres exactement pour sa dimension de « voyage intérieur ». D’ailleurs, le « guru » dont les écrits ont orienté mes premiers pas vers la performance en escalade est aussi assez très sensible à ces arguments, même s’il s’exprime à ce sujet d’une façon plus romanesque et « impactante » que rigoureuse et scientifique.
- Quand j’ai décidé de devenir moniteur, l’un de mes formateurs principaux a été un spécialiste de la préparation mentale. Au fil de la formation, il a naturellement évoqué des nombreux aspects traités dans le livre.
- Enfin, ayant entre autres un passé dans la recherche scientifique, je suis assez tolérant vis-à-vis de lectures que d’autres considèrent « rébarbatives » – par exemple je lis bien plus d’essais et récits que de fictions.
Présentation du livre
Le bouquin suit une structure assez similaire à celle de certains manuels d’entraînement, en proposant des chapitres par situation/habileté, qui mélangent une explication théorique, des témoignages de grimpeurs de haut niveau, des « cas d’étude » un peu caricaturaux mais clairs, et des fiches d’exercice.
L’idée derrière ce choix est affichée en introduction : il s’agit de faciliter une lecture partielle au grimpeur qui veut faire face à une problématique précise (exemple : une excessive facilité de distraction lors de ses essais, ou alors la peur de la chute, etc.). Pour ma part, j’ai plutôt opté pour une lecture « en linéaire », de la première à la dernière page, mais quelques feuilletages initiaux me confirment qu’il est tout à fait possible d’en effectuer une lecture partielle et orientée. Je dirais même que le livre me semble optimisé en ce sens.
Le public visé me semble large, et va du grimpeur « lambda » aux professionnels comme moi (moniteurs, entraineurs).
L’éventail de ce qui est considéré par le livre comme relevant des habiletés mentales du grimpeur est vaste, et va au-delà de la définition «grand public». Je suis sûr que la totalité d’entre vous considèrent que la gestion de ses peurs ou de son niveau d’activation avant un essai font partie de votre «mental de grimpeurs». Je suis moins sûr de la réponse, si je devais vous parler de votre niveau de motivation à court et long terme, ou alors de vos interactions au sein d’une cordée ou d’une clique de pratiquants. Évidemment, on y trouvera aussi tout ce qui concerne la mémorisation et la visualisation, la capacité d’orienter son attention, les interactions parfois complexes entre estime de soi, choix de ses objectifs et efficacité dans le vif de l’action.
Je ne dévoile pas plus le contenu : à mon sens, il s’agit vraiment d’un livre à acheter si l’argument vous intéresse. Je dirais juste que je le trouve particulièrement louable dans la partie dédiée aux interactions avec les autres grimpeurs. Quelque part, ces chapitres me semblent poursuivre l’objectif secondaire de contribuer au développement d’une communauté de grimpeurs animée par des valeurs positives et des pratiques constructives – entre autres ces pages ont eu des retombées pratiques très positives dans la gestion des cours d’escalade que j’encadre.
Attention pour finir : tous les exercices proposés ne sont pas également faciles à mettre en place ou adaptés à votre cas spécifique. Comme souligné dans la préface, si l’axe de travail privilégié pour améliorer ses performances en escalade est de bourriner des bras, plus que du cerveau, c’est que la première méthode est souvent plus ludique et demande moins d’investissement !
Mes ressentis.
Comme je disais en introduction, il me semble plus difficile que d’habitude de vous livrer une critique « objective » : je vous donne donc quelques impressions, résolument subjectives.
Premier ressenti à chaud : tout du long de l’ouvrage, j’ai rarement été pris par surprise. Évidemment, n’étant pas un spécialiste je n’aurais pas été en mesure de l’écrire : pour autant je n’ai jamais eu l’impression d’y lire quelque chose de soit totalement nouveau, soit en complète contradiction avec mes croyances. Pour la plupart, ce que j’ai lu dans les chapitres est venu confirmer et préciser quelque chose que j’avais soit lu ou entendu ailleurs, soit « ressenti » intuitivement avec mon expérience de grimpeur et moniteur (ce qui est plutôt flatteur, et a relancé ma motivation dans les deux casquettes).
Pour ceux qui auraient des doutes sur la pertinence du contenu du bouquin donc : que du bon, tout ce qu’on y lit est confirmé par sources fiables, l’expérience, ou les deux. Si vous attendez des « méthodes miracle » en revanche, attention : les auteurs ne sont ni vendeurs de tapis ni marabouts !
On ne trouvera par ailleurs rien qui pourrait paraître «controversé» (même pas dans les interviews) et du point de vue de la valeur de « divertissement » de l’ouvrage, ça me semble dommage. Je prends un exemple d’un autre sport car il est caricatural et montre bien de quel genre de choses je parle. Adolescent, j’allais souvent au palais de sport de ma ville (Varèse en Italie) pour voir des matchs de basket professionnel. Je rappelle un joueur de l’équipe Virtus Bologne qui était particulièrement détesté par nos tifosi, et qui ne manquait pas de les provoquer dans une attitude de défiance ouverte et assumée, avec pour effet des sifflements assourdissants et des chants particulièrement insultants à son égard. A l’époque je mettais ça sur le dos de son caractère prétentieux, mais dans une récente interview de ce joueur j’ai découvert qu’il faisait cela dans un esprit plutôt empirique et utilitariste : il avait remarqué que l’hostilité du public adversaire augmentait sa combativité lors des matchs, et confirmait sa conscience d’être un joueur fort et redouté, sans qu’il y ait en parallèle des effets négatifs sur sa concentration. Étant un élément clé, capable de prendre toute l’équipe sur ses épaules, il avait donc décidé que jouer de ce conflit était une bonne méthode pour gagner, et les faits lui donnent raison : à son époque, il a été l’un des joueurs les plus décisifs dans les matchs à l’extérieur (le serbe Sasha Danilović). Je vois un parallèle possible avec certaines attitudes cherchant la polémique de comptoir, certaines façons d’attiser la rivalité avec des grimpeurs partageant le même projet ou la même salle d’isolation, ou encore d’obtenir l’attention de toute une falaise (peu importe si positive ou négative). Des Danilović de l’escalade? 😉
Deuxième ressenti, le livre brille par son pragmatisme et son esprit de synthèse. On sent bien l’envie de trouver un rapport « pages/efficacité » favorable, peut-être par peur de « perdre » le public. Cette approche est probablement louable pour 99% des lecteurs, mais explique aussi que je reste un peu sur ma fin ; explications ci-dessous.
Troisième ressenti : le livre aurait gagné en rigueur s’il avait explicité à la façon d’un dictionnaire quelques définitions. Surtout, il aurait été plus crédible s’il avait explicité et défendu certains objectifs de fond, qui semblent « aller de soi » dans la tête des auteurs. En particulier, le propos du livre me semble orienté à la réalisation de performances sportives, et en ce sens il vise à vous rendre des pratiquants au mental efficace, mais aussi épanouis dans une motivation durable et équilibrée tout le long de votre carrière de grimpeurs. Certes, cet objectif est louable et je suis certain qu’il est partagé par la majorité des personnes qui sont susceptibles de l’acheter – pour autant il ne me semble pas le seul point de vue existant et « légitime » et il me semble dommage de faire comme si rien d’autre existait.
Je m’explique.
Du côté de la motivation, il est possible d’accorder à une pratique sportive une importance très relative et/ou intermittente : c’est d’ailleurs logiquement le cas quand vous avez une vie très remplie, ou quand il s’agit de votre deuxième ou troisième sport favori. Pour reprendre le basket : cette année, je joue dans une équipe loisir tous les mercredis soir, mais rater un entraînement ou l’écourter pour aller me coucher plus tôt ne me provoque absolument le même type de « manque » et de regrets que de ne pas grimper : ce désintérêt relatif est au cœur du plaisir que je tire de ce «deuxième sport» !
Au contraire : les grimpeurs de plus long cours connaissent sans doute des exemples d’« étoiles filantes » ayant brûlé d’une passion démesurée pendant quelques années, avant de perdre soudainement d’intérêt pour la pratique et de recommencer le même cycle avec une autre. Il s’agit souvent des personnages au talent hors pair. Ce « style motivationnel » est intuitivement moins défendable, entre autres cela ressemble parfois à une dynamique d’addiction-overdose-sevrage : mais les auteurs pourraient dire en quel sens c’est un « mauvais » choix, selon eux, au lieu de nous laisser dans des suppositions.
Du côté de l’objectif (implicite) du bouquin, des pratiquants loisir particulièrement éclairés pourraient renverser la relation hiérarchique mental-performance : non pas «je recherche un certain état mental pour mieux performer» mais «rechercher la performance en escalade me procure des états mentaux agréables» (le fameux flow, par exemple) . Il serait donc tout à fait possible, surtout dans un bouquin « grand public », de mettre l’outil « préparation mentale » au service prioritaire de la recherche délibérée de certaines expériences intérieures lors de la pratique sportive, et des sensations positives qui y s’associent (apaisement, oubli des préoccupations du quotidien, sentiment « d’être vivant », etc.). La différence est certes subtile mais dans les quelques cas où plaisir et résultat entrent en contradiction, se donner l’une ou l’autre priorité peut donner lieu à des choix différents.
Quatrième et dernier ressenti. Le choix d’optimiser le livre pour une lecture partielle se fait un peu au détriment du lecteur plus avide ou «académique». D’une part, j’aurais aimé lire toute la théorie « d’une seule traite », sans que les nombreux inserts (exercices, exemples, interviews) viennent interrompre le flux des idées. De l’autre, surtout en tant que moniteur, ce qui me manque est une définition « isolée » des outils et de leurs conditions d’application. Par exemple, j’aurais mieux aimé trouver un chapitre expliquant ce que sont les exercices de cohérence cardiaque, comment on explique leur fonctionnement, suivi des fiches d’exercice classées par but/situation, au lieu de voir ces informations « éclatées » un peu partout dans le livre, ce qui me rend plus difficile de comprendre pleinement les tenants et les aboutissants de cette méthode que je connais à peine. La sensation est que les auteurs considèrent qu’un livre ayant des ambitions de « traité » serait hors-propos, et que pour aller plus loin il vaut mieux se faire accompagner par un spécialiste (quand on est pratiquant) ou se former à la préparation mentale (quand on encadre).
Bilan
Ne vous méprenez pas en lisant mes critiques à l’ouvrage : le bilan reste largement positif !
Il est particulièrement conseillé aux grimpeurs en évolution, qui commencent à prendre conscience de l’importance du mental en escalade, mais qui n’ont ni développé leurs propres astuces de façon empirique, ni envie de se limiter aux « conseils d’ami ».
Il sera aussi utile pour un public plus expérimenté et déjà sensibilisé à l’argument, mais dont les idées sont peu organisées, ou dont la « préparation mentale autodidacte » s’est emballée : Dechamboux et Vionnet vous aideront à faire de l’ordre dans votre tête et à relancer le mouvement. Je me mets dans cette catégorie.
Les grimpeurs blessés pourront aussi trouver dans l’ouvrage une façon de rester en lien avec la pratique et assouvir leur soif de grimpe, sans précipiter la reprise et risquer la récidive.
Enfin, le livre ne dispense pas de se faire accompagner quand l’enjeu, des compétences déjà bien en place ou simplement votre envie rendent un approfondissement poussé nécessaire. Pour ma part j’aurais effectivement eu envie de « quelque chose de plus », mais comme il s’agit d’un sujet plus sensible et délicat que les temps de repos entre deux séries de pangullich, je trouve que le choix se défend.
Merci pour ton retour!