Hier soir j’étais présent au test chausson SCARPA à Arkose Genevois.
J’ai notamment pu mettre mes pieds dans l’Arpia, nouveau modèle qui promet d’être intéressant pour un large éventail d’utilisateurs recherchant un compromis « équilibré » entre confort, technicité et facilité de chaussage/déchaussage. Je vous livre ici quelques impressions rapides.
Sachez que j’ai testé ce modèle dans une pointure relativement confortable (41 pour un pied 42.5 en ville), comme si j’avais voulu le choisir pour faire des grandes voies de 200m. En recherchant la performance pure j’aurais pu descendre à 40.5 mais d’une part cette pointure n’était pas disponible, de l’autre ce choix aurait été en contre-tendance avec le programme de ce chausson.
Forme et volumes
Au niveau de la pointe on est sur une forme plate avec un soupçon de griffe, à la fois assez large mais peu volumineuse en hauteur, asymétrique et pointue juste ce qu’il faut pour concentrer la puissance sur le gros orteil et permettre un travail correct sur les trous et autres concavités. Cette forme, avec un choix de matériel (microfibre) assez souple et élastique, devrait donner une impression de confort instantané à beaucoup de pieds – mais les plus fins se trouveront peut être mal maintenus (notez qu’il il existe une version femme, mais je ne sais pas quelle est exactement la différence avec la version homme – selon les marques et les modèles cela peut se traduire par des volumes uniformément plus étroits, d’autres fois uniquement par un talon coupé différemment, et enfin il y a des cas où la seule différence consiste en une plus grande souplesse)
Le milieu du pied est plus étroit, et le talon a un volume moyen, avec une tension elle aussi dans la moyenne. Ce talon, ressemblant visuellement à celui du Mago, il est assez peu structuré, ce qui dans mon expérience est un cas de figure à double tranchant: d’un coté il s’adaptera mieux aux différentes formes de pied, de l’autre il sera réellement efficace seulement si rempli à bloc. Un choix très agressif en termes de pointure serait donc primordial pour en tirer pleinement profit, mais il y a à parier que les acheteurs de l’Arpia n’opteront pas pour la pointure ultime . De toute façon, il est très difficile de marier un confort d’ensemble adapté à des longues séances d’entrainement/ouverture/grande voie avec un talon réellement performant: les modèles y arrivant se comptent sur les doigts d’une main et encore, il ne seront pas forcement les mêmes selon la forme de votre pied…
La fermeture se fait par un seul scratch en « Z », solution qui brille par sa rapidité et qui offre un très bon maintien du cou du pied, avec un serrage uniforme. Le seul compromis de cette solution est l’impossibilité de cibler le haut de la chaussure pour aider la tenue du talon: on a toujours l’impression qu’on est moins efficaces à cet endroit par rapport à des scratchs plus classiques (impression que j’ai eu par le passé avec des Boldrini ou des 5.10 Jet7)
Globalement, on est vraiment à mi chemin entre des modèles « à l’ancienne » (type 5.10 anasazi) ou destinés aux débutants (le chausson de location de votre salle) et les tendances actuelles en termes de modèles performance tous en griffe, pre-tension et asymétrie (la gamme Drago/Chimera/Furia chez SCARPA représentant ce qui se fait de plus extrême en matière).
Rigidité, support et sensations en grimpe
En termes de rigidité de l’intercalaire de la semelle, l’Arpia est dans la moyenne haute des modèles actuellement présents sur le marché, sans pour autant se montrer extrême. En revanche, la griffe de la pointe est à peine présente et la tension générale du chausson est assez faible. La combinaison de ces caractéristiques se traduit pour un ressenti de grimpe qui sera qualifié de « souple » par ceux qui possèdent des chaussons vraiment rigides et spécialisés dans le grattonage (SCARPA Vapor Lace, LaSportiva Miura VS et XX, 5.10 Anasazi Blanco, Wild Climb Pantera 2.0), et de « rigide » par les grimpeurs habitués aux chaussons conçus pour les compétitions et/ou le bloc en salle (la gamme soft de SCARPA, les NoEdge chez LaSportiva, les MadRock HayWire).
Concrètement, cela veut dire que l’Arpia accepte bien de s’écraser sur les volumes et autres grosses surfaces dans des profils pas trop raides, tout en étant suffisamment structuré pour se montrer solide et peu fatigant pour les orteils en grattonage. Le revers de la médaille est une faible qualité prehensile: en fort devers, l’Arpia griffe bien les prises seulement quand celles ci sont crochetantes (même s’il s’agit de petites réglettes) mais il ne faut pas trop lui demander en termes d’effet-ventouse sur des grosses rondeurs ou des volumes. Ayant aussi brièvement essayé le Chimera, la différence de performance avec un modèle spécifique pour le haut niveau est bien présente.
Au delà d’un confort exemplaire, la grande qualité de ce chausson est son utilisation très intuitive. Tous les choix de forme, rigidité, tension ont visiblement été faits avec maîtrise et sobriété, et ces caractéristiques du chausson viennent aider le travail du pied en douceur, sans perturber les sensations. Dès les premières minutes on est en confiance et on sent précisément la limite du chausson, ce qui permet rapidement de l’oublier. Par contraste, tous les modèles « extrêmes » que j’ai eu ou que j’ai testé demandent un certain temps d’adaptation, quand on vient d’un concept de chausson différent, et pendant les premières minutes voir séances on doute, on regarde deux fois si le pied est vraiment bien placé, etc.
En résumant
SCARPA présente cet Arpia comme un modèle destiné aux grimpeurs en évolution, qui sont à la recherche d’une paire de transition entre leur chausson de débutant, et les modèles « performance » sans compromis. Posé en ces termes, le contrat me semble parfaitement rempli: l’Arpia aidera ces grimpeurs avec des performances nettement meilleures qu’un chausson d’entrée de gamme, mais sans les perturber avec un caractère trop affirmé.
Pour autant, ce chausson peut séduire des grimpeurs plus expérimentés à la recherche d’un chausson confortable pour les grandes voies ou l’échauffement: l’Arpia a tout pour bien figurer dans des longueurs de mur vedonnesques de niveau 6 et 7, avec en plus le coté pratique dû au système de serrage très rapide.
Enfin, revenant tout juste de deux semaines de trad à Annot, je remarque que le profil de la pointe, particulièrement basse et effilée dans le sens de la hauteur, devrait se prêter à merveille au crack climbing. Je n’ai évidemment pas pu les tester en cette configuration, mais je ne serais pas surpris de les voir aussi à l’aise dans les splitter* les plus fins que le chausson de référence pour cette spécialité, le légendaire 5.10 Moccasym. En revanche, l’Arpia sera sans nul doute plus polyvalent que la vielle ballerine rouge à chaque fois qu’il faudra charger une prise de pied en dehors de la fissure. Pour cette utilisation de niche, il faudra tout de même prévoir une quelque forme de sur-protection pour le système de fermeture, lors de son passage dans les oeillets: même si celui-ci est assez haut et ne devrait frotter que rarement, il s’agit tout de même d’un « point dur » et le risque de couper la sangle en quelques verrous de pied, surtout dans les fissures larges, est réel. Rien de grave: comme d’habitude quand on maltraite le matos à coups de verrous et renfougnes, du strap ou du scotch américain feront l’affaire, alors que les rares assidus de la spécialité s’amuseront à bricoler une solution définitive à base de polyglut/sikaflex et similaires. Il restera un autre problème possible avec cette fermeture: il n’est pas exclu que dans combats offwidth les plus chaotiques le scratch s’ouvre tout seul…ce qui se produira sans doute quand vous êtes déjà entre panique et agonie, car c’est souvent quand l’acide lactique remonte au cerveau qu’on commence à faire n’importe quoi avec les pieds 😀
Il est en tout cas un peu dommage, à mon avis, que SCARPA ait décidé de décliner en version « cheville montante pour les fissures » le Maestro, chausson costaud qui a l’air excellent à la fois en grimpe de face et dans les fissures larges, mais dont la pointe est plus
ronde et volumineuse, donc potentiellement inefficace dans des fissures à doigts…alors que cet Arpia semble avoir le profil parfait pour briller aussi quand le combat se fait plus étroit! Heinz Mariacher, si tu me lis: fais moi un Arpia cheville montante, un poil plus structuré pour ne pas torturer le pied en renfougne, avec une fermeture légèrement revue pour éviter usure et ouvertures intempestives…Je t’en achète deux paires direct, promis 😉
*splitter: fissure perpendiculaire à une face homogène (sans dièdre), qui de quelque sorte se retrouve coupée en deux (split).
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