Les vacances de la Toussaint ont été l’occasion de retourner grimper à Finale Ligure, endroit que j’affectionne particulièrement, pour plusieurs raisons.

Le paysage caractèristique de Finale. Ici Bric Scimarco (à gauche) et Bric Grigio (au milieu).

En effet, mon tout premier magazine d’escalade, acheté en 1998, était une monographie dédiée Finale : suite logique, mon premier « trip d’escalade », sur la durée d’un week end, s’est fait sur ces parois de calcarénite (rocher similaire à la molasse calcaire de Buoux) en grimpant péniblement les 5 et 6 dalleux de Monte Cucco et Rian Cornei. Et bien plus récemment, j’ai apprécié le style particulier des voies plus dures (souvent assez courtes et en force, ce qui me correspond bien) mais aussi le grand choix de secteurs, expositions, et niveaux : été comme hiver, pas trop en forme ou bien en canne, on y trouve toujours quelque chose d’intéressant à grimper. Enfin, fait décisif, Finale est l’une de ces destinations de grimpe qui ont ce que j’appellerais du caractère. Il y a d’abord un rocher et un paysage bien caractéristiques, tels qu’il est difficile de ne pas reconnaitre le site en photo.

Il y a une histoire composée d’anecdotes et personnages à cheval entre épopée et parodie, entre sérieux et pas sérieux du tout. Et il y a surtout le bon mélange entre situations de grimpe confortables (la belle file de trous qui s’enchainent sans y réfléchir, l’équipement rapproché dans les secteurs récents) et inconfortables (l’approche paumatoire, le petit runout en dalle, le pas de bloc inattendu, la prise cachée qu’il faut deviner, le bidoigt aux rebords saillants et douloureux, l’absence presque parfaite de prises surnaturelles, etc.). Bref, pour prendre à l’envers la pensée d’un célèbre et controversé tailleur de voies, ces falaises sont quelque chose de plus qu’un simple support de « mise en scène de l’humain », ou plus précisément, ce sont elles mêmes l’objet de la mise en scène : bien qu’il s’agisse de matière inerte, les calcarenites de Finale font en effet partie de ces rochers qui se prêtent à une certaine forme de vénération. Comme dans un culte païen, les humains y mettent en scène le mythe de l’idole-falaise, avec leur alternance de moments d’extase et d’autres de sacrifice, la punition de toute forme de hybris (sous forme de cotations inégales et parfois très serrées), les pèlerinages tortueux dans la dense végétation méditerranéenne, l’art d’interpréter les oracles (météo et topo), les tabous (la taille de prise, la « surcotation ») et les gardiens du temple. Certains trouveront que c’est trop en faire: pour moi au contraire c’est en ce genre d’endroits qu’on trouve le piment de notre discipline, même s’il s’agit d’un ensemble de fictions collectives, au sens d’un certain bestseller

Si vous partagez cet esprit, et vous ne recherchez donc pas du « prêt à grimper » toujours déroulant et sans surprises, je vous propose le topo de la grande voie la plus réputée de la zone : la célèbre Catarinfrangente, qui est habituellement parcourue en combinaison avec sa variante d’attaque Slash.

Croquis de la combinaison: en bleu Slash, en orange Catarinfrangente. L’attaque original de cette deuxième emprunte la végétation à droite, et est abandonnée de nos jours.

Histoire de la voie (et du nom)

Catarinfrangente veut dire « réflecteur », et plus spécifiquement indique les éléments réfléchissants de certaines signalisations routières, ou de l’habillement dédié aux deux roues. Ce nom inhabituel pour une voie d’escalade trouve sa genèse dans un bivouac improvisé entre grimpeurs italiens, quelque part vers Chamonix, à l’été 1977. Nos héros s’abritent sous les murs d’une station de téléphérique en construction. Dans une ambiance que l’on imagine facilement hilare et goliardique, quelqu’un trouve dans le matériel de chantier l’un de ces poteaux de signalisation routière, et commence à jouer avec. Promptement, Gianni Calcagno, figure charismatique du groupe, s’approprie de l’objet et le cache dans son sac, pris d’une étrange inspiration. De retour en Italie, il propose à l’ami Giustino Crescimbeni de l’accompagner dans l’ouverture d’une nouvelle voie sur la paroi du Bric Pianarella à Finale Ligure, peu loin de chez eux. C’est ici qu’il sort de son sac le poteau catarinfrangente, et le plante dans le sol à la base de la ligne qu’il a envisagé. Ce geste signifie à la fois le début des hostilités mais aussi l’assurance de Calcagno : il est déterminé à finir sa voie dans la journée, bien que la paroi soit impressionnante de verticalité. Effectivement, il parvient au sommet avec un cheminement très audacieux compte tenu de l’époque et des moyens dont il dispose (il grimpe en grosses, et se protège avec pitons et cordelettes) : en particulier, une traversée en dalle au-dessus d’un devers ocre démontre l’intuition, les moyens techniques et le courage du grimpeur ligure. Sur plus de dix de mètres il lui est impossible de pitonner, l’exposition est maximale et l’issue d’un vol serait douteuse voir catastrophique : sa première protection n’est pas des plus fiables… Aujourd’hui le passage est évalué à 5c+ (sévère) et bien que sécurisé par quelques broches scellées reste assez engagé. Tout en étant une longueur « facile » par rapport aux autres, quand on grimpe ce parcours en libre, elle reste la plus esthétique et impressionnante.

L’ambiance gazeuse de la grande traversée

Topo

Attaque : il se situe quelques mètres à droite de l’arrivée du chemin contre la paroi, à niveau d’un petit ressaut qu’on désescalade à l’aide d’une corde fixe. On est à la verticale de la grande érosion brune que l’on contournera plus tard. Slash monte une dalle blanche à trous, le mur jaune de L2 est clairement visible au dessus.

L1 6b 30 mètres, dalle.

L2 Mur jaune deversant avec surprise au réta. 6c (dur…), 35m.

Le rocher du mur ocre de L2

L3 On peut soit continuer à gauche (mur raide, 6c+) soit rejoindre à droite Catarinfrangente : possibilité évidente, d’autant plus qu’un point de liaison la suggère (dans ce cas, vaut mieux faire relais à droite, dans le dièdre). Pour la longueur d’origine, 5b/c en jolie fissure large/cheminée, relais sur arbre après la fin des difficultés.

L4 longueur de transfert. Monter au mieux les ressauts boisés, et arrivés au pied de la grande érosion (lunule) tirer à gauche : relais sur trois broches scellées, dont une avec un bout de chaine.

La grande érosion

L5 Dièdre facile, ensuite mur raide juste à gauche d’un pilier, avec pas de bloc un peu patiné (6b+, « gros plus »). Terminer en ascendance à droite jusqu’au relais. 35m

L6 Première partie de la fameuse traversée. Ne pas se faire attirer par les nombreux points qui montent (une ligne droit au dessus du relais, et une autre au milieu de la longueur). Le bon itinéraire démarre à l’horizontale dans une zone de rocher très travaillé, ensuite monte à peu près à 45 degrés sans la dalle blanche suspendue. Viser une niche évidente à l’extrémité droite de la dalle (il y a un vieux piton bien visible au loin, le scellement est dans la même direction, bien plus proche…mais caché!). 5c+ 25m.

L7 Deuxième partie de la traversée, tout aussi surprenante. Après une courte redescente, on traverse à l’horizontale sur gros bacs dans un devers marqué, pour rapidement se rétablir sur une vire et continuer à traverser jusqu’au relais. Exposition maximale, 5c « un peu physique », 25m.

5c physique et gazeux: majeur!

L8 Court devers suivi d’un typique mur à trous en pur style local. 6c (correct), 30m. Relais dans une niche à colos.

L9 Passage sur colos, violent pas de bloc qui demande adhérence, doigts et intuition, suit un mur plus facile si on devine le bon « zig-zag » entre les points (sens de l’itinéraire utile…). 6c digne de Buoux.

L10 Dièdre/dulfer en diagonale, les pieds à plat sur des bossettes, suite dalleuse et facile (bien qu’un peu engagée). Le placement des points est assez malcommode pour le second. 6c+ qui nous a paru plutôt gentil, une fois n’est pas coutume !

Le dièdre de sortie

Descente : S’éloigner au mieux du bord de la paroi jusqu’à rejoindre un chemin que l’on parcourt vers la gauche. A niveau d’un cairn évident, prendre la trace qui descend raide à gauche, pour ensuite rejoindre un vallon récemment déboisé, et enfin un chemin balisé qui ramène au pied de la paroi. 20 à 30 minutes. Si vous arrivez sur une large route forestière, vous avez loupé le cairn…

Notes : toutes les longueurs valent largement le détour. Comme vous l’aurez compris, dans l’ensemble les cotations sont assez « compressées » par rapport au standard actuel (y compris à Finale) et l’escalade reste globalement raide et physique. En ce qui nous concerne, sur le papier ça nous semblait une parfaite idée pour une journée de « repos actif » entre des sessions de couenne … euh, bien, ça ne nous a pas tellement reposés ! Comme la plupart des lignes du Bric Pianarella, la voie peut facilement être parcourue avec 14 dégaines et une corde à simple, à condition d’être surs de sortir. Point positif, en ce sens : dans l’ensemble ce n’est pas très engagé et en tirant au point le niveau demandé baisse considérablement – je dirais 6b obligatoire, pas plus.