Une grande salle de la région parisienne. Après deux heures de cours, je reste grimper quelques voies: une séance courte mais intense, je fais de l' »affûtage » en vue de mes vacances verticales…
Je m’engage dans une voie à mon niveau maximum, que je n’ai pas encore enchaînée et qui me sert de « projet d’entrainement ». En m’approchant du pas de bloc de mi-voie je me sens bien, ça pourrait passer…je clippe, et je m’engage aussitôt dans ce gros jeté diagonal…ma main droite enveloppe pendant quelques instants la prise s’arrivée…qui finit par glisser ! Merde ! Je suis encore une fois en train de tomber sur ce pas, qui ne me pose pas de soucis intrinsèquement…La corde devrait bientôt me ralentir, mais non : je suis en chute libre, la vitesse augmente, la tête d’un grimpeur se baladant sous ce gros devers est en ligne de mire, on risque mes jambes et ses cervicales…enfin la corde se tend, elle m’arrête de façon tellement soudaine que je rebondis vers le haut. Quel choc! Mes pieds sont à deux mètres du sol, et tout proches de la tête de l’autre (qui heureusement me regardait, et m’a esquivé)
Au final, j’ai fait 7-8 mètres de chute alors que quand je suis tombé j’avais la dégaine aux genoux. La corde ne m’a ralenti que sur les derniers deux mètres (au plus). Blasé, je rappelle sèchement à mon assureur, pourtant expérimenté, que « de temps en temps les gens tombent ! ».
Un long décryptage suit, au cours duquel mon assureur (un grand gaillard me dépassant largement en taille et en poids) explique avoir laissé du mou « pour dynamiser », et s’être déplacé vers le mur.
Cet incident est donc le produit d’une idée reçue, et d’une mauvaise technique.
Dans la suite de cet article j’essaie de discuter les deux (accrochez-vous : c’est long, technique, mais ça vaut la peine…)
L’idée reçue, c’est que laisser du mou dans le système, à n’importe quel endroit et dans n’importe quelle situation, aide à réceptionner la chute du grimpeur de façon plus douce.
J’essaie d’expliquer pourquoi cette idée est fausse, et pourquoi elle est relativement répandue.
On commencera par un cas « théorique » mais souvent pas trop loin de la réalité : les dégaines ne rajoutent aucun frottement, l’assureur est parfaitement immobile, et le système d’assurage bloqué. Dans ces conditions, on sait que l’atterrissage sera d’autant plus doux que le facteur de chute est bas.
Le facteur de chute étant le rapport entre la longueur de la chute et la longueur de corde déployée entre nœud et système d’assurage, il s’en suit que laisser du mou entre assureur et grimpeur rallonge la chute…tout en produisant un « atterrissage » plus violent ! Exactement comme dans ma petite histoire.
Si vous ne me croyez pas :
- Un chute de 2 mètres avec 10 mètres de corde produit un facteur de chute égal à 0,2
- La même chute avec 2 mètres de mou supplémentaires donne un rapport 4/12, soit 0,33.
Hors de ce cas idéalisé, mais parfois proche de la réalité, est que dans certains cas laisser du mou « dynamise » l’assurage ?
Oui, mais uniquement si entre ce mou et le grimpeur il y a un frein !
Par exemple, si vous assurez avec un tube et vous laissez une belle boucle de corde molle entre votre main-frein (droite pour les droitiers) et l’appareil, vous avez un frein entre corde molle et grimpeur. Par ailleurs, il s’agit de la méthode de « dynamisage » la plus facile à appréhender, et la seule qui est également fiable quel que soit le poids du grimpeur. Un vrai passe-partout que tout grimpeur/assureur devrait maîtriser.
Dans certains cas particuliers, le tirage d’une corde qui passe dans beaucoup de dégaines et frotte contre des angles est aussi un frein efficace, surtout si la chute n’est pas importante ! Ceci explique que certains assureurs apprennent que laisser du mou devant le système d’assurage aide à arrêter doucement les chutes : c’est effectivement le cas quand le grimpeur tombe de tout en haut d’un long devers en salle d’escalade ou d’une grosse longueur en falaise, surtout s’il y a des changements de pente et direction importants…Du moment que beaucoup de grimpeurs n’aiment pas les voies « bloc » où l’on peut tomber un peu partout, et acceptent de ne pas demander « sec » uniquement quand ils sont à quelques prises d’enchaîner leur voie « rési », voilà que cette exception devient la norme !
Après cette première partie, comprendre l’erreur technique de mon assureur devrait être simple.
Dans un cas général, se déplacer vers le mur est une façon de dynamiser efficace, mais uniquement à condition de simuler l’action d’un frein. Il faut donc commencer à se déplacer de façon parfaitement synchrone à la mise en tension de la corde, tout en exerçant une résistance progressivement plus importante. C’est la seule façon possible de dynamiser avec un grigri ou autre appareil bloqueur.
Se déplacer à corde déjà bien tendue ne sert à rien, mais ce n’est pas pire que rester sur place (on rallonge la chute alors que le grimpeur vient d’encaisser le choc de la mise en tension).
Se déplacer avant la mise en tension de la corde est par contre une erreur grave : ça revient à rallonger la chute sans augmenter la longueur de corde utile. En reprenant l’exemple de tout à l’heure, si l’assureur se déplace de 2 mètres avant la mise en tension de la corde, le facteur de chute passe de 0,2 à 0,4 ! (Rappelez-vous : dans cet exemple, la longueur de corde utile est de 10 mètres).
Encore une fois, dans le cas particulier de la petite chute avec beaucoup de tirage, tout change…car il y a un frein entre grimpeur et assureur : donc se déplacer en avance pourrait être un bon choix !
Autre cas particulier : un assureur bien léger par rapport à son grimpeur…qui sera déplacé au bon moment en restant parfaitement passif !
Pour terminer, quelques conseils :
- Ne sous-évaluez pas la tâche d’assurage. Etre un excellent assureur demande beaucoup de réflexion, entrainement et attention. C’est peut-être un peu chiant pour certains, alors dites-vous que ça vous permet de participer à juste titre des « croix » de vos potes !
- Entraînez-vous à prendre et assurer des chutes dans des conditions variées. Avec vos partenaires d’escalade, faites régulièrement de l’école de vol en fin de voie, mais aussi à 4-5 dégaines du sol !
- Si vous utilisez un frein (type reverso, atc) optez pour les méthodes qui ne requièrent pas un déplacement de l’assureur : laisser du mou entre appareil et main-frein, mais aussi « laisser filer ». Utilisez des gants et demandez à quelqu’un de contre-assurer tant que vous ne maîtrisez pas ces techniques à la perfection.
- Si vous utilisez un bloqueur (grigri, click’up, megajul, smart, etc), soyez particulièrement exigeants envers vous-mêmes et demandez à votre grimpeur d’évaluer votre assurage lors des chutes.
Bons vols à tous!
Peut être faut-il prendre en compte, aussi, la dimension du poid du grimpeur.
Dailleurs tu en parle au début: c’est un grand et costaud gaillard qui t’assure. Et il faut avouer que lui a bien plus d’efforts à faire pour dynamiser une chute que les poids plume.
En effet à poid égale ou inférieur l’assureur dynamise avec son propre poid en bloquant la corde, qui une fois tendue, entraine l’assureur, comme sur une balance à plateau le lourd fait remonter le lerger. Dans ce sens il n’y a pas de soucis ou de technique de fou.
Alors que si ce dernier est plus lourd, d’expérience je l’ai constaté à différence de 10kg et plus. L’assureur doit effectivement savoir dynamiser avec les méthodes que tu donne. Car le poid de la crevette assurée, après son vol n’entrainera pas l’assureur. Dans ce cas avec toujours la corde de l’assureur bloquée, seul l’élasticité de la corde dynamisera, mais pas le jeu de balancier précédent. Ce qui peut à une certaine différence de poid être désagréable pour celui qui chute. Pour modéliser correctement il faudrait une balance à plateau avec des elastiques…
Et dans certains cas, points éloignés, vires, toits, il faut pouvoir faire chuter son partenaire là où l’on le décide. Donc oui savoir assurrer c’est bien, savoir dynamiser c’est mieux.